Mytholorgie
Le silence lisse qui coule entre les personnages comme une résine épaissit encore l'engourdissement plastifié d'une scène raidie par un maniérisme absurde. Membres en torsion, muscles en traction, nerfs en tension. L'émotion ankylosée par des rictus désamorcés de toute spontanéité, trois sujets s'arc-boutent dans l'attente, dans le suspens contracté du signal électrique qui donnera à leur mouvement préparé, arrangé, une vitalité pénétrante et bestiale. Pour l'heure, aucun frémissement, aucun souffle n'assouplit l'inflexibilité athlétique de ce moment figé dans une stimulation muette. Les carrures ciselées et moites de phéromones, vibrantes de luxure dionysiaque, se crispent en une expressivité travaillée dans le miroir : échos d'un égo consumé jusqu'à l'o par le fantasme du reflet et une confiance opiniâtre dans le sensible.
L'homme sur la gauche, jambe droite ramenée vers l'arrière, décentre vigoureusement son bassin dans un trapèze aigu avec les omoplates, ouvrant le flanc à un contrapposto académique et calibré. Mains jointes derrière la nuque, il lance ses coudes vers le ciel comme pour maudire son impuissance à déloger le temps du repli dont il ne s'écoule plus, ou peut-être en une supplique sourde vers le souvenir des premiers émois de la chair, avant les bacchantes à fond de teint et les sybarites photogéniques. Ses traits marqués gravent une retenue caricaturale, frustrée dans sa libération, comme paralysée dans un imbroglio tragicomique entre l'intense volupté et l'accablement du repentir. Le devenir de son action ajourné par une pause implacable, son irrésolution morale piégée dans une énergique confusion, il donne le sentiment d'une césure plaintive au pivot d'une existence pressée par la doxa gymnique et le culte de soi.
Elle, dressée sur des bras secs et galbés, le visage tourné vers le bassin du supplicié jouisseur mais les yeux clos sous ses sourcils sévères, offre l'ovale roulant de sa bouche au bas-ventre imberbe. Coryphée aphone d'un chœur de gémissements extatiques suspendus dans leur fausseté par un manque égal de sobriété et de sincérité, la ménade post internet semble attendre l'orgueil érectile de son second partenaire comme le thyrse divin qui sanctifiera l'immodeste trinité dans une décadence fantasmée et stylisée, l'élevant de sa besogneuse et matérialiste réalité vers une iconographie artificielle mais excitante de l'Eros juvénile. Jugulée par les mains puissantes de l'alcide en croupe, la nuque cambrée comme Nessus à la lutte, l'amante du trio se donne telle une offrande au beau, mais désossé de sa vertu.
L'idéalisme aphrodisiaque de la séquence achève de s'engluer dans le glacis de l'écran, dont le scintillement fade rehausse les olympiens du gonzo d'une aura sans gloire. Et la précarité de leur sensualité, conditionnée par l'éphémère fama des égéries en 720p, remise leur auguste fitness loin des rites orgiaques et des mythes lubriques pour l'ériger en modèle universel, lustré et glabre du plaisir digitalisé. Rattrapée par le débit, la scène reprend son souffle numérique et fait rejaillir la vie et les sécrétions érotiques, noyant doutes et questions dans les inextinguibles flux pornomédiatiques et leurs pixels cadencés. L'interlude ontologique écourté, le spectacle revient substituer au désir sa contrefaçon, image tonique mais superficielle d'une flatterie sociale, accessible et passive comme une lecture automatique de streaming.