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Fonte : Almendra Display par Ana Sanfelippo

Entropolis

VIII

- Le vantard à gorge -

Pût un goître un jour définir un homme,
Ce bocal-ci lui servait d'aquarium
Où brassait la faune, en pandémonium,
De ses immodesties frétillant comme

Un banc de harengs, huileux symposium,
Jeté au gré des lampées de bière, rhum,
Anis, dans les rets des hôtes aphones.
Feu la décence, nunc est bibendum !

Enflé d'emphases si peu économes,
Cet appendice à logorrhée en somme
Brandillait telle une bourse à Sodome.

De vanité un jour il perça, plom,
S'ouvrit du cou jusqu'au duodénum,
Délivra mille rires de sitcom.

II

- Pagaille autocar -

Juchés sur la falaise du trottoir
Les peureux émissaires du travail
Blottissent leurs rêves, adieu plumard
Au guet d'un moteur fendant la grisaille
Transportés d'espoir

Viennent les vitres sombres et leur miroir
A ces ulysses pleurant le bercail
Offrant au nocher des frissons hagards
Et leurs viatiques carton métal
Risette illusoire

La volée s'élance elle veut s'asseoir
Frotte ses duvets grommelle chamaille
Bousculée entre un soufflet et trois barres
Sitôt se plaint du caravansérail
Donnez-leur à boire

Le constricteur arpente les rues noires
Du ventre fait un manège à volailles
Presse les sucs et au seuil de la gare
De vingts piafs allège ses entrailles
Une espèce rare

Un klaxon étire son cor flemmard
En une plainte molle et viscérale
Plus longue que la quenouille des Moires
Son brame las disperse la piétaille
Baillant tintamarre

Son festin libéré le bus repart
Tous se remettent en ordre de bataille
Dans l'ennui chacun rejoint sa mangeoire
Le turbin attend allons vaille que vaille
Vivement ce soir

XI

- Sacrée châouée sacrée -

De l'eau partout, ruisselante et lustrante, fait miroiter les chaussées, repousse l'immobilité de son menu galop irisé par la nuit brillante. Séléné lui jette son reflet fragmenté par les cascades expulsées des gouttières, et l'astre se répand en pléiades nacrées, gagne les pavés, et émiette encore sa clarté en constellations nouvelles.

Dans la pluie, une galaxie

De l'eau partout, qui lèche et qui bout, Artémis baigne dans les remous des eaux cloacales rendues célestes par son éclat. Et l'argentine chasseresse se déverse en rigoles et ruisseaux avec les miroitements pour vaisseaux. Cent petits halos taquinent les badauds, étoilent les regards des noceurs et des trottoirs, émaillent l'ébène des venelles.

Derrière l'averse, une déesse

De l'eau partout, qui frappe et qui roue, les clapotis agitent la nuit, et l'écho répercute les tambours de la pluie. Plic, caisse claire, kick, snare. Jazz is cool when the moon is full. La cadence poursuit les lumières qui s'élancent des réverbères. Plom, syncope, tome, flop. Jazz feels fool when rain is the fuel.

Sous la drache ça s'arrache

De l'eau partout, qui rit et qui roule, qui trisse et qui soule, qui gicle et qui joue. La fanfare dévale les ruelles et les néons sont les phares des avinés hagards, noyés dans ce labyrinthe perlant, éreintés par ces limbes battants, accrochés comme à des leurres aux divines et espiègles lucioles.

Sous la flotte

Ça gigote

IV

- Le frontalier augmenté -

Transfiguré d'espoirs artificiels,
Aux confins de l'humanité, excelle
Le frontalier dans son œuvre isocèle
Entée à sa nature matricielle.

Reconfiguré, lesté de pixels,
Cet embryon agro-industriel
D'un futur à l'hybris cicatriciel
Se vaccine aux règlements officiels

Préfigurés par l'exploit logiciel
D'éduquer d'aliénables kyrielles
D'avatars connectés \ bigots sériels.

Défiguré par l'urgence sensorielle,
L'illimitrophe rend confidentielles
Les chairs de l'origine substantielle.

IX

- Une heure du bleu au noir -

Par une volée de gabardines — sales gosses !
S'extrait de la drache un printemps bleu et précoce.
Les écluses de mon blair bouchent leurs vantaux
Aux effluves capillaires monoï coco.

Strident et plein, un gnard têtu fait le négoce
D'un alpaga épais. Parentèle féroce !
Deux noceurs pressés de vivre trôlent au trot;
L'un en sueur, l'autre bien ivre, ils fument trop.

Un patchouli piquant gifle l'air, c'est atroce,
Il appartient à cette bourge acide et rosse.
Que gèle l'éther d'où ce fumet lourd et sot
Rejoint les terres pour flétrir humeur et naseaux !

Circé me toise, me voilà nu jusqu'à l'os,
Nyx espiègle libérée de l'œuf d'Eros.
Je me délivre de son regard aussitôt !
Sous le ciel flou piaillent moineaux et marmots.

VII

- Spartacus into Findus -

Interpelé par des polices grasses,
Un lapin saigne un civet dégueulasse
Dans un camaïeu lourd et cramoisi
Mangé par une toque au blanc moisi,

Le cuistot plein tend une oreille vide
A l'antienne d'un assureur livide
Qu'un sourire figé embaume encore
Sur un fond céruléen comme la mort.

Tous ces psychopompes de la réclame
Farcissent vivants nos rêves infâmes
Éviscérés sur l'étal de nos lois
Par des bouchers d'hyper privés de soi.

Nudge et pulsion leurrent notre intuition
Que le trépan de la consommation
A fraisé et vidé comme un creuset
Pour accueillir des jingles à l'excès.

C'est le foie de Prométhée qu'on entaille !
Ni aigles, ni vautours, dociles ouailles
Qui attachons la vertu au Caucase
Pour lui privilégier la bonne occase.

Grignoté gras par son greenwashing borgne,
Un pétrochimiste jaune aigri lorgne
Vers la dentelle phallocrate et rêche
D'un érotisme ourdi au Bengladesh

Que la globalisation étourdit
D'espoirs gris, de lueurs fades, enhardit
Puis réforme en eunuques et janissaires :
A notre bourgeoisie mal nécessaire ?

On a peint là sur un rose hygiénique
Un cri noir de colère iphigénique,
Un sacrifice las en quatre par trois
Que les slogans consument, les ingrats.

De quoi nous délivrent ces angélus ?
Qu'une morale lessivière suce
Les reliquats de nos libres péchés,
Débarrasse nos pudeurs empêchées

D'intelligences autonomes et construites
— Ah tiens, on offre la troisième truite ! —
Et qu'une ferveur marchandée bénisse
Nos esgourdes à eux serviles calices.

Une promo roule obèse en radio,
Exhale sans grâce un sot falsetto
Pour lancer notre sarabande molle
En quête d'une nécessité folle,

Vers des loisirs précipités où nagent
Les sangsues sucrées de notre esclavage.
Trouble est la déité allélophage
Qui se bouffe le culte. Quel carnage !

Prêchez, cannibales sacrés ! Rongez
La couenne de votre foi, partagez
Les escalopes de votre veau d'or,
Gavez vos panses de notre confort !

Et crevez.

III

- Le passant-grattoir -

Au soufre glabre d'être frotté, porte
Son rictus fade lorsqu'il se déporte
Dans la ronce-marée — brute cohorte !
Le passant-grattoir ventru qui crachote.

Il aime la vie, futile marotte
Quand sur son aine chacun se décrotte !
De cette haine, son âme reporte
Et le phosphore et le fétide azote

En étincelles que la ville emporte
Atteindre la nuit et ses lueurs mortes,
Pour y danser des rites désinvoltes
En girandoles de mille et sept sortes.

Acide azur opale bergamote,
A ce tapage nulle couleur sotte :
Des frictions libres que la foule avorte
Perdant au passage une heureuse escorte.

XV

- Le ressac de l'indifférence -

Une corniche de granit gris, récif à l'indigence, ne retient ni les passants ni l'espoir. La défiance s'y abat comme la pluie, nappe les contrastes de sa pellicule d'indifférence, emporte les voix dans ses ridicules torrents d'oubli et se répand dans les rues en rigoles de silence. Du baptême au suaire, tout est recouvert.

C'est que guettant l'absolution à la lueur de ses égaux, l'humain-phare ne reconnaît d'autre halo que celui qui le maintient loin des flots de la misère qui lui lèche le rivage, s'ébranlant aux horizons du naufrage. C'est pourtant du ciel que l'écume est la plus blanche, et son sel même aux saints étanches dessine les écueils de la malchance.

Ainsi la houle molle noie la commisération : généreuse offshore, il lui faut garder ration. Soit, le désespoir embrume les isthmes de la compassion, mais viennent les havres à fermer leur digues, et c'est toute une bonté qui dérive. Flop, la misaine loin de la flotte, la multitude cabote et son va-et-vient chuchote, deus ex aqua, comme un ressac coi.

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